Le bon sens des motsDernière mise à jours 2024-04-06 par Mathilde Ohm |
Septembre (semaine 38)
S’agirait de se faire une idée, oui, mais comment ? La plupart du temps je me fais des idées avec des mots et des phrases. Hier je suis allée voir un ciné-concert. Film muet : l’aurore de Murnau . J’avais d’impression de me faire une « audio description » malgré l’orgue qui improvisait, sur le champ, à propos des images. De même quand je regarde ce dessin animé je ne peux m’empêcher de me raconter une histoire. À croire que se faire une idée, c’est toute une histoire ! |
Et en mathématiques, peut-on se raconter des histoires ? Bon, j’ai compris qu’il existe une histoire des mathématiques. Ce n’est pas la question. C’est plutôt que je voudrais ne pas passer à côté du sujet, ne pas errer à contresens ou en brodant autour d’un énoncé et je voudais aussi mettre à jour les idées qui s’y cachent.
En classe, on commence toujours par la définition des mots. Le vocabulaire est-il si scrupuleusement défini que chaque chose serait associée à un mot unique ? Est-ce si rigoureux ? Est-ce que cette association mot-chose fonctionne dans les deux sens, est-ce bijectif, comme dit P’ti Roy ? Qu’en est-il pour les élèves bilingues ? Comment cela se passe-t-il quand on passe une frontière ? Pour ma part, je peine à calculer dans une autre langue que le français.
Je me souviens, il y a deux ans, Boris, un élève de 3, avait eu une nouvelle trousse achetée sur internet. Il était très content d’y trouver un résumé des calculs de géométrie. Pourtant le petit guide d’accompagnement donnait des indications différentes de cette de notre prof de math.
Boris a demandé à Monsieur Bozon, notre prof du collège : « Monsieur, dans mon résumé votre carré s’appelle Place et je ne comprends pas ce qu’est le Champ d’application. » Après avoir examiné en détail le papier mal imprimé, Monsieur Bozon a beaucoup rit. Puis il a expliqué à Boris qu’il s’agissait d’une traduction approximative. Sans doute faite avec Google Traduction. Il nous a proposé d’aller en parler avec notre professeur d’anglais. En effet, si l’on cherche le mot « square » l’une des propositions est « place » et pour « perimeter » on lui trouve un voisin « scope » qui est proche de l’expression « champ d’application » d’une règle de droit. Traduire c’est parfois trahir, ajouta-t-il, méfiez-vous du Globish. |
Cela me rappelle un mauvais souvenir : une fête foraine s’était installée sur la place. J’ai tenté ma chance dans une loterie. Gagné ! Je déroule la petite bande de papier bleue et je lis camera. Qu’est-ce que j’étais contente ; une caméra à douze ans. Déception : le forain échange mon précieux coupon contre un vulgaire appareil photo en plastique dont l’emballage m’instruisait que le mot « camera » en italien signifie « appareil photo ». tradurre è tradire. Traduire c’est trahir.
Il est vrai que même en français, j’ai parfois des difficultés à traduire et à associer le vocabulaire des énoncés mathématiques avec ce dont ils parlent.. L’année dernière, en seconde, j’ai eu à répondre à cet exercice (j’ai placé mon travail dans la page suivante)
Je me souviens avoir traité ce problème à l’aveuglette, comme une somnambule, c’est-à-dire, de façon mécanique en suivant les étapes numérotées de 1 à 6. J’étais un peu perdue. J’avais l’impression de faire des calculs sans savoir de quoi je parlais.
C’est une histoire embrouillée comme les aime Lewis Caroll. Je trouve surprenant d’utiliser des lettres comme s’il s’agissait de nombre. Je me souviens d’une devinette : « Je commence la nuit. Je finis le matin. Et j’arrive deux fois dans l’année. Qui suis-je ? ». Il m’a fallu un peu de temps pour porter mon attention sur l’écriture plutôt que sur l’évocation des éléments du temps. Oui, la première lette du mot nuit est un « n » de même « n » est la dernière de matin et se trouve écrit deux foi dans le mot année . Cela dit, les lettres utilisées en mathématiques sont sensée être des nombres.
Elles me semblent être comme des pronoms personnels. Je, toi, nous, peuvent bien être beaucoup de personnes selon la situation. Pourtant ces pronoms désignent la plupart du temps une personne précise. De même sont-elles des nombres tantôt indicatifs () tantôt parfaitement définies ().
Je rêve d’une classe de mathématiques où je ne me sentirai pas menacée par l’incompréhension. Un pays de connaissance où il ne serait pas nécessaire d’être sur ses gardes. J’aspire à y être chez moi. Je voudrais trouver ma place, un point de vue duquel les cheminements seraient tout tracés. Pour l’instant, le monde mathématique me semble épais et plein d’étrangeté. Dans ce problème sur le papier je ne voyais pas clairement le lien entre certains détails, comme les lettres et l’ensemble de l’énoncé. Il me faudrait une méthode pour comprendre. Mais là, il ne me suffit pas de vouloir comprendre pour comprendre.
S’il m’arrive, de faire les choses sans comprendre, même assez fréquemment, s’il m’arrive même de dire « Bon ça va, j’ai compris », plutôt pour mettre un terme à la discussion, en mathématiques, cela ne devrait pas être possible. Je comprends ou je ne comprends pas, et quand je comprends c’est un vrai plaisir. En amour impossible de dire je t’aime presque. En math peut-on dire je comprends presque ?
Alors, qu’est-ce qui m’empêche de comprendre ?
De plus, ma difficulté semble impossible à expliquer et je ne sais pas vraiment comment me faire comprendre. Et puis, est-il possible de tout comprendre ?
En tout cas, moi, je me comprends et je ne désespère pas de clarifier un peu cette histoire. Cela fait deux ou trois mille ans que des mathématiciens semblent s’y retrouver. Alors pourquoi pas moi ?
Qui plus est, en ce début d’année, la classe me semble bruyante et je peine à comprendre ce que dit le prof tout autant qu’il peine à se faire entendre. Il y a un brouhaha de fond, parfois même un petit événement qui vient rompre le déroulement de la réflexion : que ce soit l’intervention du cpe, ou plus souvent la chute d’un stylo ou le déplacement d’une chaise.
La difficulté que j’aimerais bien surmonter, c’est l’incompréhension immédiate des énoncés, pas seulement en raison des parasites sonores, mais surtout par le brouillage du message principal comme un os qui résiste à se laisser rompre.
J’ai le sentiment d’être dans un labyrinthe où chaque carrefour offre des chemins impossibles à choisir. De temps à autre j’entrevoie une petite lumière, un petit éclair de compréhension dans ce brouillard mêlé de bruit de fond. Je cherche une méthode pour m’y retrouver, et les quatre étapes de la méthode de Polya ; que m’avait montrée Papa ne suffisent pas. Je me promets de faire mieux.
Je peux ajouter une nouvelle étape dans ma carte de mémorisation : si lire aide à comprendre, et si lire c’est parvenir à comprendre, ne pas comprendre immédiatement me permet de constater mon désir de comprendre.